ERK-News : 1 - Comment se porte l’activit´e de conseil en innovation en ce moment en France ?
K.N : Comme l'ensemble de l'économie française, le secteur du conseil en innovation a subi une forte baisse d'activité, du fait de la pandémie liée au Covid-19 et ses vagues successives de rebond de l'épidémie. Contrairement à ce qu'on aurait imaginé en particulier vis-à-vis des missions de financement de l'innovation ; le renforcement des mesures du quoi qu'il en coûte n'a pas automatiquement impliqué une augmentation de l'activité dans notre secteur. Tout simplement parce que chaque fois que le Covid-19 revient en force, les décideurs sont principalement préoccupés à gérer la crise et soutenir leurs activités (développement, production, commercialisation), plutôt qu'à s'occuper de toute autre question.
Même si les questions de financement sont importantes comme bien d'autres, elles sont loin d'être urgentes en période critique de crise sanitaire. Ceci s'est particulièrement ressenti en 2021 lorsque le fameux « quoi qu'il en coûte » qui nous a tous bien aidé, a commencé à couter cher.
Par ailleurs, outre la durée de la crise sanitaire et les différentes mesures de restrictions sociales qui affectent le moral des équipes, le télétravail a eu un impact non négligeable sur la dynamique de notre activité. En effet, les questions commerciales se traitent toujours plus facilement en présentiel dans le cadre de salon d'innovation ou de rendez-vous d'affaires. Le travail en distanciel n'a donc pas favorisé le développement commercial durant les deux dernières années. A ceci, il faudrait rajouter le fait que discuter des questions techniques d'innovation par téléphone ou en visioconférence, est loin d'être idéal. Les meilleurs consultants préfèrent se rendre sur le terrain, pour mieux appréhender la pertinence des problématiques R&D qu'abordent les entreprises innovantes.
En somme, je pense que l'ensemble du secteur se réjouit de la baisse de l'épidémie, de la fin progressive des mesures de restriction sociale annoncées par le gouvernement, ainsi que de la croissance économique amorcée en fin 2021. Ceci en particulier dans cette phase de monté en charge des questions de chiffrage et de déclaration du crédit d'impôt recherche (CIR).
ERK-News : 2 - Parlant de Crédit d'Impôt Recherche ; à votre avis, quelle devrait être la tendance des questions technico-fiscales du CIR en 2022 ?
K.N : On peut conjecturer sans prendre trop de risques, sur le fait que la tendance du CIR en 2022 sera fortement dictée par "le quoi qu'il en coûte" qui a finalement coûté assez cher, par la dette de l'État qui a atteint des montants records (environ 114% du PIB en fin 2021), et par la loi de finance 2022 qui devrait prendre une trajectoire de redressement des finances publiques.
D'une manière prosaïque, en 2020 (CIR 2019), le mot d'ordre à Bercy était de rembourser toutes les créances fiscales quoi que cela pouvait coûter à l'État. En 2021 (CIR 2020) on était toujours en période de Covid-19 ; le mot d'ordre à Bercy était l'efficacité dans la gestion des créances fiscales. Il fallait répondre aux demandes de remboursement CIR dans un délai assez court, avec systématiquement une demande de justificatifs. En particulier dès que le montant du remboursement demandé était non-négligeable.
En 2022 (CIR 2021), il faudrait s'attendre non pas seulement à des demandes de justificatifs des montant de CIR déclarés ; mais aussi à devoir convaincre les services conjoints de Bercy et du ministère de la Recherche (la DRARI : délégation régionale académique à la recherche et à l'innovation). En d'autres termes, il faudra parfois que l'entreprise déclarant du CIR démontre son investissement effectif dans une démarche constructive et sérieuse de recherche et innovation.
Ce que nous observons depuis peu sur le terrain, c'est que tout ceci a déjà commencé : En plus des demandes relatives à la présentation technique détaillée des projets valorisés et aux détails du suivi du temps des équipes R&D ; il faudra s'attendre à justifier les qualifications et compétences du personnel valorisé vis-à-vis des thématiques R&D de la société ; et même démontrer la crédibilité de l'engagement de la société en R&D du point de vue de son management de l'innovation (l'activité de veille technologique, la capitalisation des connaissances liés aux projets R&D, ainsi que les indicateurs R&D tels que l'embauche de docteurs & ingénieurs, les thèses Cifre, et les partenariats Entreprise-Université).
ERK-News : 3 - Que recommandez-vous donc aux entreprises qui s'apprêtent à déclarer du CIR cette année ?
K.N : Avant de leurs recommander d'êtres très bien accompagnées, je tiens à préciser que la tendance présentée à l'instant ne se limitera pas à l'année 2022. Elle devrait progressivement se pérenniser ; car il est évident que ce n'est pas en un an qu'on pourra redresser de manière durable les finances de l'État, ou rendre plus efficace la politique publique en matière de soutien à l'innovation.
En revanche, il faut garder en mémoire qu'il est impossible pour les services de l'État de contrôler toutes les sociétés en un an. Ce qui veut dire que beaucoup d'entreprises qui déclarent du CIR passeront certainement entre les mailles du filet. Cependant, nous insistons sur le fait que la qualité de l'accompagnement de la société apportera de la sérénité au chef d'entreprise et à sa direction financière.
Je tiens à préciser que l'excellence dans l'accompagnement en financement de l'innovation ne veut pas spécialement dire, faire un super calcul du CIR avec un joli montant à la clé ; ou de produire un dossier technique qui devrait sécuriser le CIR. Mais plutôt de conseiller l'entreprise qui déclare du CIR dans une vision globale de la question : Management, Stratégie et Financement de son activité de recherche et innovation.
En effet, le bon management de l'innovation permet une excellente approche de structuration de son activité, avec une capitalisation des connaissances au fil de l'avancement des projets. Ceci débouche automatiquement sur une meilleure visibilité dans ses dossiers, facilitant ainsi la prise des décisions stratégiques qui maximisent le potentiel d'innovation et de financement de l'activité de recherche développement et innovation. Et ça, la plupart des grandes entreprises du CAC40, savent très bien le faire.
ERK-News : 4 - Parlant de recherche développement et innovation ; RDI-Manager, l'outil de management de l'innovation pour lequel le cabinet Eurêka participe au développement, serait-il une réponse à cette approche globale du conseil en innovation que vous recommandez aux entreprises innovantes ?
K.N : Sans vouloir prêcher pour ma paroisse, je dirai : Oui ! Absolument ! Les outils tel que RDI-Manager contribuent à cette démarche d'efficacité en management de l'innovation. A titre personnel, je pense que le futur du management de la recherche et l'innovation devrait s'orienter vers des approches telle que celle proposée par RDI-Manager : le suivi collaboratif de projet.
Ceci non pas spécialement parce que des consultants EURÊKA ont apporté leur expérience du terrain aux ingénieurs RDI-Manager ; mais principalement parce qu'au 21e siècle, l'heure n'est plus à la Direction, mais plutôt à la Participation ; et notre temps est dominé par l'information.
ERK-News : 5 - Parlons politique et innovation : Le conseil constitutionnel vient d'annoncer la liste des candidats à l'élection présidentielle, donnant ainsi le départ à la course vers l'Élysée. Quels sont les enjeux qui pèsent sur le CIR, compte tenu du fait que, outre la rencontre d'un Homme et d'un Peuple ; l'élection présidentielle c'est aussi un Programme et son Financement qui se font face ?
K.N : Pour parler politique d'innovation et de développement, si la question est de savoir si le CIR est menacé de réduction drastique dans le budget de l'État, voire d'arrêt complet après la présidentielle ; la réponse est : très certainement pas ! Car ce serait absurde, compte tenu du contexte économique international (innovation, globalisation et compétitivité).
En effet, le soutien des entreprises à l'innovation via le dispositif du crédit d'impôt recherche (R&D tax credit en anglais), est une mesure de politique d'innovation et de développement économique réglementée au sein de l'Union Européen. Elle est appliquée dans de nombreux pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). Si en France, nous avons l'un des dispositifs les plus généreux de l'OCDE en termes de CIR ; la question aujourd'hui n'est pas d'arrêter ou de réduire drastiquement le CIR ; mais plutôt de garantir – son effectivité au sein des entreprises innovantes en termes de renforcement du potentiel R&D, et – son efficacité à l'échelle du pays en termes d'indicateurs de compétitivité (dépôt de brevets, création d'emplois, émergence de licornes, ...).
Pour ce faire, il faut que tous les acteurs de l'innovation (entreprises, universités, financeurs publics et privés, cabinets de conseil, ...) jouent au jeu de l'innovation. Ceci suppose par exemple que – les entreprises et en particulier les TPE et PME qui souhaitent rester compétitives sur leur marché, s'ouvrent au changement et à l'innovation, – que les cabinets de conseil accompagnent de manière effective ces dernières dans une démarche consistante d'innovation, – que le soutien public et privé aux PME et même aux ETI innovantes se fasse de manière assez constructive, en concordance avec les autres acteurs – et que nos universitaires voient tous cela plutôt comme une opportunité renforcée de transfert de technologie.
Tout ceci est déjà plus ou moins en marche et devrait continuer à aller de l'avant, si l'on en croit les différents rapports et propositions d'amélioration de l'efficacité du CIR (CPO, CNEPI et OCDE). Cela prend du temps pour se mettre en place et nécessite surtout que les acteurs de l'innovation jouent tous au même jeu : celui de l'innovation dans l'intérêt de tous.
ERK-News : 6 - Et enfin, un mot sur la JEI (le statut de Jeune Entreprise Innovante)
K.N : Le statut de jeune entreprise innovante (qui inclut celui de jeune entreprise universitaire) est un dispositif de soutien à l'innovation qui apporte des avantages non-négligeables aux jeunes pousses innovantes. Ceci en particulier au niveau des charges patronales du personnel R&D, qui sont réduites de moitié environ. Il s'agit d'un levier de financement non négligeable en termes de politique d'innovation et développement, dans une vision de start-up nation.
En effet, outre le fait que le statut JEI est soumis à un critère fatidique de 15% des dépenses de la jeune pousse affectées à la R&D ; ce qui pouvait être déplorable avec la JEI, c'était sa durée d'application qui se limitait aux 7 premières années de l'entreprise. Le problème ici était lié au fait que lorsque la jeune pousse atteignait un régime de croisière nominale, elle perdait tout d'un coup ce levier financier de son dynamisme en innovation. Rendant ainsi plus difficile le franchissement d'un nouveau cap pour la jeune entreprise qui pour le coup reste innovante.
Pour améliorer cet aspect du dispositif de JEI, l'Assemblée nationale a récemment adopté (loi de finances 2022) un amendement permettant d'allonger la durée du statut de JEI de 7 à 10 ans. Une très bonne initiative qui va dans le sens du soutien des jeunes pousses innovantes et prometteuses.
Cependant, si l'objectif de cette amélioration du dispositif de JEI c'est de permettre aux jeunes pousses prometteuses d'aspirer plus facilement au "statut entrepreneurial de licorne", alors le tir peut être ajusté. Car l'expérience du terrain nous montre que dans la grande majorité des situations de JEI, l'enjeu financier du statut JEI est relativement faible pendant les 2 premières années. Pour celles qui ont le potentiel technologique d'aspirer au statut de licornes, au bout de leur 5e année d'existence, elles ne respectent presque plus le fameux critère des 15% des dépenses affectées en R&D. Ce qui met ainsi un terme à leur statut de JEI.
En théorie, c'est là où les acteurs privés du financement de l'innovation devraient se montrer bien plus dynamiques. Cela étant, un allongement pertinent de la durée du statut JEI, pourrait être enrichi par une baisse progressive du critère des 15\% des dépenses affectées en R&D. Ceci afin de continuer à soutenir les jeunes pousses prometteuses jusqu'à leur seuil d'émergence en licorne. On pourrait par exemple imaginer que le critère des 15\% (des dépenses affectées en R&D) soit applicable pendant les 5 premières années ; puis une décroissance linéaire du taux de dépenses R&D de 15% à 10%, de la 5e à la 10e année d'existence de la jeune entreprise innovante.
L’équipe Eurêka News
Eureka Innovation Press / ERK IP 04.22 | 10 mars 2022