Ces startupeurs qui découvrent la violence du tribunal de commerce
En se rendant à ce second rendez-vous, ou plutôt à cette seconde convocation au tribunal de commerce de la ville du Roi ; George était plutôt motivé, confiant et détendu. Ceci malgré la tempête qu’il vivait au quotidien entre les courriers des huissiers, les relances des impôts et de l’URSSAF, et bien sûr la gestion opérationnelle de ses équipes. Ce qui permettait à ce jeune patron de start-up innovante des Yvelines de se rendre au tribunal la tête haute, c’est parce qu’il avait réussi à régler la partie de la dette de son entreprise qui avait été mise en privilège de créance. Cette dette auprès de l’URSSAF, lui avait valu la première convocation de sa vie au tribunal. Tribunal de commerce certes, mais tribunal quand même.
Lors de cette première convocation, le président du tribunal lui avait signifié sa situation d’entreprise en difficulté, signalée par l’un de ses débiteurs ; et l’avait également interrogé sur l’état de cessation de paiement de son entreprise. A l’issue de cette convocation, trois possibilités s’offraient à lui : - la mise en sauvegarde de sa société – la mise en redressement judiciaire – et bien sûr la liquidation judiciaire.
Si la dernière option n’était pas du tout envisageable pour lui, la première n’était pas tout à fait possible ; car cela faisait déjà un moment que George ne se contentait plus que de verser les salaires de ses collaborateurs, sans payer les charges associées. Ceci du fait d'une trésorerie en berne. Parfois, il n’arriverait même pas à se verser son salaire ; s’appuyant ainsi sur sa compagne, fonctionnaire pour gérer les charges courantes du foyer. Quant-à l’option de mise en redressement judiciaire de la société, ce qui inquiétait principalement George, c’était le fait d’être dépossédé du droit de gestion de sa société. De plus, il avait encore confiance en sa capacité à renflouer sa trésorerie et à négocier directement avec ses principaux créanciers (les Impôts et l’URSSAF).
Après cette seconde confrontation avec le tribunal de commerce, George était retourné tout penaud à son bureau au sein de l'accélérateur où son entreprise était basée. Malgré sa petite mine qu’il dissimulait à peine, il prit quand même la peine de passer dire bonjour à ses collaborateurs avant d’entrer dans son bureau en refermentant la porte derrière lui. Est-ce que ses principaux collaborateurs avaient remarqué la petite mine de leur patron ? Peut-être que oui, peut-être que non. Une chose est sûre, ils n’avaient pas osé déranger le boss. Tout ce qu’ils savaient, c’est que lorsque le bureau de George (qui est toujours grandement ouvert) est fermé ; cela voulait dire que soit le CEO est en rendez-vous (distanciel ou présentiel) ; soit il a besoin d’être concentré pour faire du travail de fond. Ceux qui s’étaient permis de troubler la tranquillité de George, c’était ses collègues entrepreneurs de l'accélérateur. Ces derniers étaient au courant de la situation que traversait leur confère et avaient hâte de savoir l'issue de cette convocation au tribunal de commerce. A la question "Alors, comment ça s’est passé ?" ; George, sous son air morose, avait répondu : "je me suis fait engueuler comme un gamin, par une dame, qui apparemment était la Procureure ; comme si j’avais fait une bêtise et que c’était ma faute. Le pire, c’est que je ne pouvais même pas me défendre."
L’entreprise allait mal, le jeune patron faisait de son mieux pour sauver sa société ; il venait de rembourser une partie de sa dette et avait un plan pour rembourser la seconde partie. En plus de tout ceci, il donnait de sa personne et même de ses économies pour veiller à ce que ses salariés perçoivent toujours leurs salaires à la fin du mois. Malgré ses efforts, Georges se faisait engueuler comme il ne l’avait plus jamais été depuis des décennies. Bon élève, étudiant travailleur, puis collaborateur dynamique et dévoué ; il était plutot du genre à recevoir des compliments et des remarques constructives, et non des coups de gueule dignes d’un "père fouettard". En plus de ce coup de gueule de la Procureure, le Juge avait prononcé la mise en redressement judiciaire de sa société. Ce qu’il avait toujours essayé d’éviter était arrivé : Pour ce petit patron de la start-up nation, c’était le début de la perte de sa société.
Afin d’adoucir le choc que venait de subir notre jeune patron qui paraissait littéralement lessivé et à bout de force mentale, après des mois de batailles et de résilience qu'impose parfois l'entrepreneuriat ; le Président du tribunal lui avait lancé ces mots, d’un air apaisant : "c’est pour vous protéger qu’on fait ; pour protéger votre entreprise. La mise en redressement permettra de geler votre passif, afin de vous permettre de relancer votre société et de rembourser progressivement les dettes. Et ça vous enlèvera déjà le poids de la pression de vos créanciers." Si la grandeur d’esprit et la bienveillance du Président du tribunal, était assez réconfortante, pour le jeune patron ; ce dernière savait qu’il perdait la direction de son entreprise au profit d’un administrateur et d'un mandataire judiciaires. Les nouveaux patrons aux commandes des sociétés en difficultés qui se soucient avant tout de leurs rémunérations, plutôt que de l’intérêt de l’entreprise. Et encore moins de l'intérêt des dirigeants de l'entreprise.
Face à cette situation qui est loin d’être isolée, la question qui s’impose est de savoir : Comment en était-il arrivé là ? Comment ces entreprises innovantes qui se portaient plutôt bien, se sont retrouvées les unes après les autres en situation de défaillance ?
Vers un record de défaillances d'entreprises en 2024 : Comment en sommes-nous arrivés là ?
Avec 13 400 nouvelles défaillances d’entreprises au 3e trimestre 2024, soit une hausse de 20.1% par rapport à la même période en 2023 ; la France se dirige vers un record de défaillances d'entreprises cette année (déjà 66 000 défaillances sur 12 mois glissants en début octobre). Une situation catastrophique qui n’épargne pas les entreprises innovantes, et en particulier celles de la French Tech. Si le cas de notre entrepreneur des Yvelines peut paraitre anecdotique, depuis 2022 et la fin du Covid-19 ; c’est un vent de défaillance qui souffle au sein de l’écosystème des entreprises innovantes de la start-up nation. On peut citer par exemple – la pépite Galanck qui développe des systèmes de signalisation et navigation pour amateurs de mobilités douces – la banque en ligne Paykrom à destination des professionnels – Masteos, l'ancienne figure de proue des start-ups de l'immobilier – ou encore Ynsect, la jeune pousse industrielle qui fabrique des protéines alimentaires à base d’insectes et qui a récemment été placée en procédure de sauvegarde judiciaire.
Mais comment en sommes-nous arrivés là ? La start-up nation avait plutôt le vent en poupe comme le témoignaient en 2019 ces indicateurs : – 691 000 créations d'entreprises en 2018 (100 000 de plus qu’en 2017) – 326 incubateurs et accélérateurs répartis sur le territoire – Le lancement en 2019 de l’indice boursier Next40 par la French Tech pour accompagner les 120 start-ups les plus performantes de France vers un leadership international – Et bien sûr une hausse généralisée des financements de Bpifrance, tant auprès des start-ups que des PME et ETI innovantes. Tout ceci suivant une tendance à la hausse, et sans parler des levées de fonds et des investissements publics en recherche et innovation (via la fiscalité de l’innovation et les programmes nationaux, régionaux et territoriaux d’investissements d’avenir).
Pour mieux comprendre l'origine de cette situation, nous avons croisés différentes données officielles avec les retours de terrain de nos consultants innovation. Bien évidemment, la crise sanitaire du Covid-19 et son arrêt brutal de l’activité économique devrait être mise en cause. Cependant, il n'en n'est rien, comme on peut voir dans le graphic ci-dessous. Les chiffres montrent clairement que la politique gouvernementale du "quoi qu’il en coûte" portée par Bruno Le Maire a vraiment servi de bouclier à l'économie et aux entreprises françaises, face au choc lié à cette crise sanitaire. Pour mener efficacement cette action à l’échelle communautaire, les ministres de l’Économie et des Finances de l'UE s'étaient mis d’accord en avril 2020, sur un plan commun de plus de 500 milliards d’euros pour financer les mesures de chômage partiel des États, et prêter aux entreprises et États qui le demandaient. Puis sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, un audacieux plan de relance européen de 750 milliards d’euros avait été adopté entre mai et juillet 2020. Tout ceci sous forme dette octroyer par la Banque centrale européenne (BCE).
A l’échelle de la France, cette dette covid est estimée entre 4% et 6% du PIB en 2023 (soit entre 110 et 170 milliards d'euros). C'est ce bouclier économique d'une bonne centaine de milliard d'euros qui a sauvé notre économie et a permis la baisse exceptionnelle du nombre de défaillances d’entreprises entre 2020 et 2022 que l'on peut voir dans la figure ci-dessous. Un bouclier économique qui a valu à Bruno Le Maire le qualificatif de Super-Bruno Le Maire au sein du réseau d'innovation Eurêka.
Figure 1 : Évolution des défaillances d'entreprises en France sur 12 mois glissant depuis l’an 2000
Après cette remarquable résilience face au Covid-19, vient une succession de faits et d’erreurs pour lesquels il est important de tirer des enseignements. Fin février 2022, c’est le début du conflit russo-ukrainien. Pendant que certains se soucient avec raison d’un retour de la guerre sur le vieux continent, et proposent ou font des tentatives de médiations ; les va-t-en-guerres et média mainstream nous ont tout de suite entrainés dans une rhétorique de guerre Russie-Occident. Ceci alors qu’il est évident qu’il s’agit bel et bien d’un affrontement entre la Fédération de Russie et les Etats-Unis d’Amérique, par procuration sur les terres des braves ukrainiens. Braves ukrainiens qui ne demandaient que la liberté d’être ce qu’ils sont (ukrainiens, hongrois, polonais, russes, tatars, … , bref européens).
Pendant que ce conflit prenait assez rapidement une dimension de guerre de haute intensité ; certains ont voulu surenchérir en déclarant un guerre économique totale face à la Russie. Guerre économique totale, qui aura pour conséquence une crise inflationniste qui déferla sur le monde entier. Cette fois, ce sont les entreprises et les contribuables occidentaux qui se retrouvent pris au piège d’une guerre qui pouvait être évitée.
Dans la même période, le covid est derrière nous, ou presque. L’humanité a traversé une parenthèse inédite de son histoire ; l’heure des bilans, ou plutôt des comptes est arrivée : il faut rembourser la dette covid. Entre les prêts (aux entreprises) garantis par l’Etat, et les dépenses de soutien drastique à l’économie et aux personnes ; l’Etat a voulu rembourser sa dette covid et ses déficits budgétaires en braquant littéralement les entreprises et l’économies. Ceci alors que l’inflation battait son plein, réduisant ainsi le pouvoir d’achat des ménages, tout en augmentant les coûts fixes de bon nombre d’entreprises (énergie, matière première, …).
Une machine économique complètement grippée et des erreurs de prescriptions
A la sortie de la crise sanitaire, outre l’instabilité géopolitique du monde et la crise inflationniste qui déferlait sur l'économie ; les entreprises françaises font face au contrecoup du "quoi qu’il en coûte", imposé par Bercy. Ceci se traduit par – le début du remboursement des prêts garantis par l’Etat – la baisse drastique des subventions et en particulier celles liées à l’innovation – l’augmentation de la pression fiscale pour le recouvrement des taxes (cotisations et impôts de toutes sortes). Ceci tant auprès des particuliers qu’auprès des entreprises. En plus de tous ces facteurs qui font tousser l’économie, les délais de paiement de l’Etat augmentent, la fiscalité de l’innovation se durcit et l’activité économique de nombreuses entreprises ralentit. La machine économique était grippée et nos décideurs n’ont pas eu la bonne approche pour faire face à ces situations exceptionnelles.
Cependant, il est toujours temps d’apprendre des erreurs du passé, en posant les bonnes questions, si naïves soient-elles : – Pourquoi n’avoir pas choisi l’option d’annuler globalement la dette Covid comme le proposaient certains économistes et acteurs politiques ? – Le matraquage fiscal ou plutôt l’austérité budgétaire est-elle une solution durable dans une économie fortement désindustrialisée qui ne doit son équilibre qu’au système de subventions publiques ? – Pourquoi n’avoir pas plaider jusqu’au bout pour la paix en Ukraine, tout en nous évitant une guerre économique dont nous n’avions pas besoin ? – Avions-nous besoin de jouer les gros bras derrière une Amérique qui se cherche, face à une Russie qui passe aujourd’hui pour le porte étendard d’un Sud global, qui ne demande qu’à être respecté dans ses modèles de sociétés ?
Peut importe la pertinence des ces questions, il est clair que la rupture de l’équilibre économique qui a entrainé la vague de défaillances d’entreprises que nous vivons depuis 2 ans, vient de ces erreurs de gestion de crises et d’après-crises. Si l’impact de ces vagues de défaillances d’entreprises ne se ressent pas encore dans les chiffres du chômage, il est évident que cela ne saurait tarder. Pendant ce temps, le socle commun du gouvernement et le front de gauche se battent à coups d’amendements à l’assemblée nationale pour voter le budget 2025. Un budget qui de toutes façons sera rigoureux soit en termes de dépenses, soit en termes de prélèvements fiscaux, soit les deux en même temps. Ce qui voudra dire austérité : c’est la décadence !
Qui paiera l’addition à la fin ?
Plutôt que parler d’addition à payer, il serait plus juste de parler de "pots cassés" à payer ; car il s’agit bien de subir les conséquences négatives des erreurs de stratégie et de décisions des acteurs aux commandes. La réponse la plus évidente est de dire que, ce sont les français qui vont trinquer à la fin. Et cette réponse est bien juste, car entre l’augmentation du chômage, la baisse du pouvoir d’achat et les coupes budgétaires de part et d’autre ; la vie sera de plus en plus difficile pour le contribuable lambda. Heureusement, celui-ci pourra encore compter sur le modèle social français qui sert vraiment de bouclier social républicain. Ceci a condition qu’il ne soit pas aussi totalement détrousser.
Ceux qui paient le prix fort dans ce type de situation, et qu’on oublie régulièrement ; c’est tous ces petits patrons de TPE, PME et start-ups, qui prennent des risques dans l’entrepreneuriat, et se lancent dans la R&D pour essayer d’innover, afin de rester compétitifs. Le plus souvent, après de nombreuses tractations à essayer de gérer les difficultés de trésorerie au sein de leurs entreprises, puis des allers-retours au tribunal de commerce, et bien sûr des échanges parfois conflictuels avec les mandataires et administrateurs judiciaires ; les dirigeants d’entreprises finissent par passer à la case liquidation judiciaire. Lessivé, ruiné, et psychologiquement atteint par un sentiment d’échec et même d'injustice ; l’entrepreneur se retrouve parfois dans une chute vertigineuse, sans bouclier social pour amortir sa chute. Ceci avec une obligation de rebondir ; déjà pour soi et ensuite pour l’honneur.
C’est ce qui arrive à de nombreux entrepreneurs, et c’est ce qui est arrivé à Georges, le dirigeant de cette start-up innovante des Yvelines. Si pour les entrepreneurs les plus futés, qui voient la fin arriver, l'acceptent et s’y préparent, le rebond peut se faire rapidement ; pour bien d'autres entrepreneurs, la chute peut prendre des allures de descente aux enfers. Ce qui rend ainsi le rebond vraiment difficile. C’est ce que raconte cette brillante entrepreneure dans Plantés, les coulisses de l’échec entrepreneurial.