Initiées au début du XXe siècle en Europe et aux Etats-Unis, lorsque les femmes réclamaient de meilleures conditions de travail et le droit de vote ; les luttes pour la cause des femmes prennent différentes formes de nos jours. Dans de nombreux pays du monde comme récemment en Iran ou en Afghanistan, des femmes se battent encore au prix de leur vie pour avoir le droit de faire tomber le voile. D’autres ne réclament que le droit d’aller à l’école. En occident, les luttes pour les droits des femmes ont fait suffisamment de chemin, pour que la question ne se pose plus en termes de droits. La parité est de plus en plus la norme à respecter, et on trouve des femmes à hautes responsabilités dans tous les domaines de la société (politique, économie, ou encore sciences et innovation).
En effet, pour de nombreuses femmes au monde, la question des luttes pour la cause des femmes se traduit en termes de lutte pour l’Egalité entre les sexes. Cette lutte pour l’égalité hommes-femmes s’exprime par exemple en termes de traitement, de rémunération, de crédibilité professionnelle, et de parité effective aux postes à responsabilités. La question qui nous intéresse ici est de savoir quelle est concrètement la situation de l’égalité hommes-femmes dans la France innovante, à l’aube de la 46e Journée internationale des droits des femmes ?
La parité hommes-femmes en innovation
Au sein de la start-up nation française, la situation de la parité s’exprime par exemple par le fait que seules 24% des start-ups sont dirigées ou cofondées par des femmes en 2021. Un ratio en nette augmentation par rapport à l’année 2018 où celui-ci n’était que de 9%. Cette absence de parité au sein de la start-up nation se confirme dans le vivier des start-ups innovantes du réseau EUREKA C.I, où seules 3 des 10 pépites en 2023 sont fondées et dirigées par des femmes. Faut-il expliquer ce nombre réduit de femmes en innovation par le fait qu’elles ne prennent pas de risque, un manque de confiance en elles, ou encore le besoin de plus de modèles de femmes dans l’entrepreneuriat innovant ?
Si malgré les 40% d’entreprises françaises créées par des femmes aujourd’hui, la parité n’y est toujours pas ; il serait exagéré de dire que les femmes ne prennent pas de risque. Bien qu’il soit difficile de se prononcer au sujet de la confiance des femmes en elles-mêmes, car les avis divergent ; il est important de noter que l’idée du nombre réduit de figures modèles de femmes créatrices de start-ups innovantes, ne suffit pas à justifier le faible taux de représentation de celles-ci en innovation. La réponse à la question ici devrait certainement se trouver bien au-delà des stéréotypes sociétaux. Il est peut-être question de temps et de générations, pour que la parité en innovation soit effective.
Si aujourd’hui nos universités comptent plus de 50% de femmes avec un peu plus de 30% d’étudiantes dans les filières d’ingénierie et de technologies ; il est important de garder en mémoire le fait que, pendant longtemps, l’école a laissé les filles de côté. Cependant, de plus en plus de jeunes femmes endossent des parcours scientifiques et techniques par attrait personnel ou par inspiration de l’un de leurs parents. Je voudrais être ingénieur dans l’automobile comme mon père, nous disait une jeune lycéenne qui travaillait dur pour réaliser son rêve, et qui aujourd’hui y est parvenue.
Pour Johanna Passemard, jeune cheffe de projet matériaux innovants chez RECNOREC ; son intérêt pour les technologies innovantes dans l’industrie et le développement durable aura été son principal fil conducteur dans ses choix vers une carrière dans l’ingénierie d’innovation. Ni le conditionnement social, ni le manque de parité dans son cursus académique n’auront constitué un frein à son ambition d’être ingénieur dans le domaine des matériaux innovants. Ceci tout en reconnaissant des phases de doutes, des difficultés et des succès encourageants, comme pour tout jeune dynamique qui a de l’ambition.
En d’autres termes, la question de la parité en sciences et innovation se jouera certainement avec le temps. Les choses ont bien évolué depuis le début du XXe siècle lorsque Marie Curie était la première femme à recevoir un prix Nobel scientifique aux cotés de Pierre Curie et Henri Becquerel. La situation ne devrait que s’améliorer avec les générations et les initiatives telles celles de l’Éducation nationale qui prône la transmission des valeurs d’égalité hommes-femmes dès l’école primaire, ou encore celles des Nations Unies qui plaident pour un monde digital inclusif. Cela étant, la parité en nette croissance dans les sciences et l’innovation, garantit-elle l’égalité de traitement ?
L’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en innovation
Face à la question de l’égalité (ou de l’inégalité) de traitement hommes-femmes en innovation, outre l’aspect écart de rémunération, il faudrait également s’intéresser à la considération qui était accordée aux femmes par rapport aux hommes. En effet, si le problème de l’écart salarial entre les hommes et les femmes est loin d’être résolu d’une manière générale ; en innovation et plus globalement dans les métiers à forte expertise technique, les salaires à l’embauche sont définis suivant des grilles liées au poste et aux compétences. Et en matière de négociation salariale à l’embauche, les jeunes femmes se montrent en générale aussi douées que les jeunes hommes dans la start-up nation.
L’écart de salaires hommes-femmes apparait parfois au cours du temps lorsque les contraintes familiales impactent en particulier la carrière des femmes. Une situation inéquitable que certaines entreprises essayent de corriger au mieux. C’est à ce niveau qu’il est nécessaire d’avoir des dirigeants éclairés et des dirigeantes inspirantes. À Saint-Gobain Recherche, par exemple, du temps de la Directrice Générale Catherine Langlais, il était facile de remarquer que, chaque fois qu’une femme revenait de congé maternité, elle bénéficiait d’une évolution de son poste ; rapporte Kevin Njifenju ancien ingénieur R&D à Saint-Gobain. Cette brillante directrice de recherche et innovation à la carrière exceptionnelle (40 ans de management de la RDI au sein du groupe Saint-Gobain, 3 ans de présidence de la Société Française de Physique, et membre de l’académie des technologies depuis 2012), avait manifestement compris le besoin de corriger cette situation inéquitable liée à la maternité dans le développement des carrières des femmes.
En termes de crédibilité et de considération des femmes en sciences et innovation, il faut noter une fois de plus que les choses ont bien évolué depuis le début du siècle dernier. Si Marie Curie était une physicienne et chimiste particulièrement respectée par ses pairs ; celle-ci n’avait pas été ménagée par la populace lorsqu’en 1911 sa liaison avec le physicien Paul Langevin, divorcé depuis peu, éclatait au grand jour dans la presse. Marie qui était alors veuve de Pierre Curie depuis 1906 fut soutenue par des collègues scientifiques tel qu’Albert Einstein (voir photo).
La question à poser ici est : aurait-elle reçu le même traitement si elle avait été un de ces célèbres scientifiques à moustache, comme ils savaient bien les porter à l’époque ? Certainement pas ! De nos jours, même s’il y a toujours une marge de progression à combler ; les choses se sont vraiment améliorées. La quasi-totalité des femmes en innovation que nous avons interviewée s’accordent sur le fait que même si le taux de représentation des femmes en sciences et innovation est encore loin de la parité ; être une femme dans ces milieux majoritairement masculins n’est pas du tout un frein à l’épanouissement professionnel. Ceci peut s’avérer être un atout lorsqu’on se fait remarquer par son excellent travail et ses résultats ; selon Elodie Edoh-Alové, Manager R&D chez GEOSYSTEMS.
En effet, lorsqu’il est question de sciences et technologies, seules les compétences définissent la respectabilité des personnes. En termes de matière grise, les femmes n’ont rien à envier aux hommes et vice-versa. Pour Feriel Laakom, jeune Lead developer au sein de la star-up RDI-MANAGER ; si elle a toujours été bien acceptée en tant que Developer dans le milieu des technologies numériques fortement dominé par les hommes ; la question ne pose plus pour elle aujourd’hui. Car au sein de la Start-up RDI-MANAGER où elle fait du développement de logiciel, la parité est curieusement respectée : Choix éclairé du CEO ou simple concours de circonstances ? Peu importe, tout cela lui semble assez naturel.
Et la fameuse touche féminine alors ?
Eh oui, la fameuse touche féminine ! Faudrait-il la noyer dans une quête profonde et parfois aveugle de l’égalité ? Certainement pas ! En effet, l’égalité hommes-femmes devrait aussi s’appuyer sur une complémentarité naturelle, à partir de laquelle nait le meilleur. Selon Priscilla Lopez, CEO & Fondatrice d’ODAVIE ; la sensibilité qu’ont naturellement les femmes, représente un atout non négligeable en innovation. Cela peut parfois contribuer à sublimer une innovation technologiquement réussie, qui aurait peut-être rencontré des difficultés à se démarquer sans cette touche d’originalité par laquelle excellent les femmes. Ceci n’exclut pas le fait que dans certaines situations, il arrive encore à des femmes de ressentir un manque de crédibilité face à certains hommes qui se permettent encore de les renvoyer à leur statut de femme ; tient à préciser la CEO.
Faudrait-il conclure qu’être une femme en innovation en 2023 c’est bien plus simple qu’autrefois ? Pas du tout ! répondent à l’unisson nos consultants innovation d’EUREKA C.I qui accompagnent au quotidien des dirigeants (et dirigeantes) de start-ups et PME innovantes.
D’après ces derniers, l’entrepreneuriat et en particulier l’entrepreneuriat innovant est loin d’être facile quel que soit le dirigeant. Si les dirigeants d’entreprises en innovation sont en permanence sur tous les fronts au quotidien (conception, développement, production, commercialisation, recherche de financements, …) ; les consultants EUREKA C.I soulignent le fait que lorsque le dirigeant est une femme, on a parfois l’impression qu’elle mouille 2 fois plus la chemise que ses homologues hommes.
La réalité ici va bien au-delà d’une simple impression ; c’est un fait de société. Comme le confirme Ugoline Soler, CEO & fondatrice de RECNOREC ; dans de nombreuses situations aujourd’hui, ce sont les femmes qui se démultiplient pour gérer la sphère familiale en parallèle de leur investissement professionnel. Une situation particulièrement prenante pour ces braves dames qui doivent gérer vie familiale et vie professionnelle. Ceci l’est davantage lorsqu’il s’agit de femmes dans l’entrepreneuriat.
Au regard de cette dernière observation, peut-on considérer que le premier niveau de lutte pour l’égalité hommes-femmes de nos jours serait celui de la sphère familiale ? En effet, si le fond du problème s’avère être culturel, c’est-à-dire sociétal ; alors la plus petite échelle sociétale (la famille) devrait être la cible prioritaire des acteurs de l’égalité hommes-femmes. Puis, viendrait l’école, et ceci dès le primaire comme le prône le code de l’Éducation nationale. Enfin, interviendraient toutes les différentes actions et initiatives aux échelles territoriale, régionale, nationale et supranationale. En complément de ceci, il faudrait du temps ; car les bonnes idées ont besoin de faire leur chemin, et c’est ce que nous vivons aujourd’hui.
Sources :
- Interviews avec des femmes en innovation du réseau Eureka C.I ; réalisées par F. Asri ; mars 2023
- Echanges verbaux avec l’équipe conseil Eureka C.I ; F. Asri et K. Njifenju ; fév. 2023
- Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse ; Journée internationale des droits des femmes ; consulté en mars 2023
- Solenne Bocquillon-Le Goaziou ; Pourquoi la start-up nation ne partage pas le gâteau avec les femmes ? Magazine Forbes ; Forbes.fr, avril 2022
- Thomas Gilbert ; La place des filles dans les filières scientifiques ; Sherpas.com ; Lifestyle | Actualité – Société, fév. 2022
- ONU FEMMES ; Journée internationale des femmes 2023 : « Pour un monde digital inclusif : innovation et technologies pour l’égalité des sexes » ; unwomen.org, déc. 2022
- franceinfo ; Quand Albert Einstein remontait le moral de Marie Curie ; francetvinfo.fr, déc. 2014